Monsieur le Premier Ministre,

La semaine prochaine, le 19 mars 2019, votre gouvernement minoritaire déposera son premier budget après plus de cinq mois au pouvoir. Comme vous le savez bien, le dépôt de son premier budget représente un des premiers vrais tests pour tout gouvernement, car ce document est censé s’attaquer aux nombreux défis de la province, tout en essayant de trouver la balance entre nos ambitions et notre réalité fiscale. Ceci représente une tâche ardue pour n’importe quel gouvernement, surtout un gouvernement minoritaire qui doit, en principe, tenir compte des priorités de multiples partis et acteurs. Dans un tel contexte, le gouvernement doit prendre des décisions difficiles et un tel budget est rarement accueilli sans sa part de critiques.

Le 9 novembre 2018, vous avez été assermenté en tant que premier ministre, élu sur une promesse de redresser les finances publiques en retrouvant l’équilibre budgétaire et en coupant dans les dépenses gouvernementales. En tant que président de la SANB, le porte-parole officiel de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, je pense que c’est votre devoir en tant que premier ministre de tenir bon sur cette promesse, tel qu’elle vous a été démocratiquement mandaté par les citoyens de cette province. D’ailleurs, je crois personnellement dans l’importance du travail amorcé par votre gouvernement, car la vitalité de nos communautés acadiennes et francophones, ainsi que celle de nos collectivités anglophones et autochtones, est intrinsèquement reliée au bienêtre économique et social de notre province.

Cela dit, il est important de garder en tête les besoins et les ambitions de nos différentes communautés lors de périodes de redressement financières, afin de prioriser les champs qui méritent d’être priorisés, tout en essayant de réduire au maximum les impacts sociaux de toutes réductions dans les services gouvernementaux. Il va sans dire que sabrer les dépenses gouvernementales n’est jamais chose facile et plusieurs facteurs doivent entrer en ligne de compte. Dans cette optique, permettez-moi de vous faire l’inventaire de certaines priorités de la communauté acadienne et francophone afin que vous puissiez prendre des décisions éclairées lors de la rédaction de votre premier budget à titre de premier ministre.

 

Développement économique :

La pierre angulaire de tout budget provincial demeure les actions concrètes qui y sont énumérées pour mener la province vers une plus grande prospérité. Bien que notre province soit confrontée à de nombreux défis intérieurs et extérieurs, nous croyons qu’il est essentiel que notre gouvernement propose un plan qui vise à renforcer l’économie non seulement de nos centres urbains, mais également de nos régions rurales.

Nous vivons dans une des provinces les moins urbanisés au sein de notre fédération. Ceci pose une série de défis uniques qui pourront seulement être réglés à l’aide de l’élaboration d’une vision économique à long terme. Si la tendance mondiale favorise une plus grande urbanisation de nos régions, il est impératif que notre gouvernement mette en œuvre une stratégie compréhensive pour encadrer cette urbanisation et ainsi empêcher la dévitalisation des régions du Nord et du centre de la province sur le long terme. D’ailleurs, nous nous demandons si l’heure n’était pas arrivée d’élaborer un réel plan Marshall pour le développement du Nord. C’est pour ces raisons que nous demandons que la province élabore une stratégie économique à long terme qui vise trouver l’équilibre entre le développement urbain et rural.

Quoiqu’il existe plusieurs cadres économiques potentiels pour arriver à cet équilibre, une stratégie qui mérite une considération renouvelée serait de revoir et de moderniser nos structures de gouvernance au niveau local. Plus de dix ans après la publication du rapport Finn sur l’avenir de la gouvernance locale au Nouveau-Brunswick, peu de progrès a été réalisé pour atteindre les objectifs qui y sont fixés. Depuis la publication de ce rapport, la SANB a toujours appuyé la pleine municipalisation comme première étape vers le développement d’une plus grande stratégie économique locale.

Deuxièmement, en tant qu’ancien du secteur de l’énergie, vous êtes particulièrement bien placés, Monsieur Higgs, pour comprendre l’importance de ce secteur pour notre économie régionale. L’exploitation de nos ressources naturelles a toujours fait intégrante de notre économie néo-brunswickoise, et nous pouvons tous et toutes être fières des réussites de nos entreprises locales, qui se démarquent autant au niveau régional qu’international.

Toutefois, le secteur de l’énergie est actuellement en pleine évolution, au Canada comme ailleurs dans le monde. Pour répondre aux préoccupations grandissantes en ce qui concerne les changements climatiques, il est essentiel que le Nouveau-Brunswick prenne les démarches nécessaires pour diversifier sa production énergétique, surtout vu notre statut de région côtière. Bien que cette étape transitoire pourrait entraîner certaines difficultés, nous pensons que la transition vers une économie durable à faible émission de carbone pourrait engendrer d’immenses retombées économiques, notamment dans le secteur de l’énergie renouvelable.

 

Santé :

Le 21 février 2019, la SANB était bouleversée de voir publier dans la page du Telegraph-Journal une lettre d’opinion signée par la Fédération canadienne des contribuables préconisant la fusion des réseaux Vitalité et Horizon en une seule régie de santé. Nous pensons que poursuivre cette idée serait une grave erreur avec des répercussions politiques et sociales très importantes.

Lors d’une rencontre avec Égalité santé en français pendant la dernière élection provinciale, le Parti conservateur a indiqué qu’il soutenait le maintien de nos régies de santé. Alors que votre parti a réussi à former un gouvernement stable, nous tenons à ce que vous respectiez cette promesse lors du dépôt de votre premier budget.

Le but ultime de notre système de santé est de répondre aux besoins de nos différentes communautés. Nous ne saurions assez insister sur l’importance de voir refléter les aspirations de la communauté francophone de cette province dans nos institutions de santé. Fusionner les régies représenterait un énorme pas de l’arrière pour la communauté acadienne dans son but d’atteindre une égalité réelle en matière de soins de santé. Ici, la notion du « par et pour » est primordiale.

 

Démographie :

Le vieillissement de notre population devient rapidement un de nos plus grands obstacles au développement économique et social. Ce défi est multifacette et nécessitera la mise en œuvre de politiques novatrices dans les domaines de l’immigration, de la planification familiale, de la promotion de l’entrepreneuriat et du développement et de la gestion du territoire, entre autres.

Bien que les angles d’attaques potentiels soient trop nombreux pour en faire une liste exhaustive dans le cadre de cette lettre, notre organisme souhaite souligner l’importance de répondre à notre imminente crise démographique dans votre prochain budget provincial. Par ailleurs, il est de plus en plus évident que nous devons accroitre de façon considérable le nombre d’immigrants prêts à venir s’installer chez nous et que cette nouvelle vague d’immigration doit tenir compte de la spécificité linguistique de notre province. Il est important que le gouvernement applique une lentille démographique à toutes décisions gouvernementales pertinentes, afin de renverser le déclin de notre population active.

 

Immersion française :

Sur la question de l’accès à l’immersion française dans la province, nous demandons que le gouvernement affirme publiquement son engagement à l’égard de la promotion de l’immersion française dans les districts scolaires anglophones du Nouveau-Brunswick, et ce dès le plus jeune âge possible.

La question du point d’entrée du programme d’immersion a été un point contentieux pour plusieurs gouvernements successifs au Nouveau-Brunswick. Toutefois, de nombreux rapports, y compris un rapport commandé par un précédent gouvernement conservateur, démontrent qu’exposer un enfant à une langue seconde dès leur plus jeune âge est la meilleure option pour assurer l’acquisition de la langue en question.

La SANB tient à féliciter le gouvernement pour s’attaquer à cette question, qui est d’une importance primordiale pour notre province. Toutefois, évitons de faire de l’immersion française, et de l’éducation plus généralement, un enjeu partisan. Malgré les défis reliés à la main-d’œuvre, il est important de promouvoir des solutions concrètes qui ont comme priorité l’acquisition de la langue seconde.

La SANB profite de cette occasion pour demander votre engagement vis-à-vis du maintien de l’immersion précoce dans notre province et pour offrir notre collaboration dans ce dossier. Le ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance a le devoir de développer et de mettre en œuvre des politiques novatrices qui assureront l’élaboration de programmes d’études permettant la création d’une population bilingue, peu importe leur langue maternelle.

Actuellement, seulement 17 % des Néo-Brunswickois et Néo-Brunswickoises dont la première langue est l’anglais ont réussi à devenir bilingue, alors que ce nombre s’élève à 75 % pour cent chez la population francophone. Ceci n’est pas signe que les francophones de cette province sont plus doués dans l’apprentissage les langues, mais plutôt que plusieurs gouvernements successifs ont refusé de faire de l’immersion française une réelle priorité. Lors du dépôt de ce budget, vous avez la chance de rectifier ce problème, au bénéfice de l’ensemble de la province.

 

50e anniversaire de la Loi sur les langues officielles :

Comme vous le savez bien, 2019 marque le 50e anniversaire de la Loi sur les langues officielles. Cette loi, qui a mené à la reconnaissance du Nouveau-Brunswick comme la seule province officiellement bilingue du Canada, a façonné notre province d’innombrables façons.

Cette étape importante de notre histoire nous présente la rare opportunité de non seulement réfléchir sur les 50 dernières années, mais également sur le travail qu’il nous reste à accomplir lors des 50 prochaines années. Sur ce point, je pense que le temps est arrivé pour proposer des initiatives ambitieuses visant la promotion des langues officielles au sein de notre province, des initiatives qui respecteront non seulement l’esprit de la Loi sur les langues officielles, mais également celui de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques.

En considérant les statistiques présentées ci-dessus, nous devons conclure que malgré les progrès réalisés, nous n’avons pas encore atteint l’idéal d’une population réellement bilingue au sein de notre province. Cela doit changer. En guise de célébration du 50e anniversaire de la Loi, nous proposons que le gouvernement lance une série d’initiatives ambitieuses visant la création d’une population 100 % bilingue avant l’arrivée du 100e anniversaire de la Loi. Certains mépriseront l’audace de cette proposition. Néanmoins, la SANB croit fondamentalement que la promotion de l’acquisition d’une deuxième ou même d’une troisième langue ne pourrait que mener la province vers une plus grande prospérité collective.

Au cours des 50 dernières années, notre bilinguisme nous a permis de nous distinguer au sein du Canada, ainsi que sur la scène internationale. Renouvelons notre engagement pour un plus grand rapprochement entre nos communautés de langues officielles en osant viser aussi haut que possible.

Le Nouveau-Brunswick est une belle province où vivre, et malgré nos nombreux défis, je pense qu’en mélangeant pragmatisme et idéalisme, nous nous assurerons qu’il le demeure pendant des générations à venir.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de mes sentiments distingués,

 

Robert Melanson

Président, SANB