Protection et promotion du français au Canada : Vers une réelle mise en œuvre de la Partie VII

Cette allocution du président de la SANB a été prononcée le mardi 13 avril 2021 devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes du Canada, lors d'une séance portant sur les mesures de protection du gouvernement fédéral pour la promotion et la protection du français au Québec et au Canada. 


Monsieur le président Dubourg, chers membres du Comité, auditeurs et auditrices, bonjour.

Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant ce comité pour témoigner des mesures gouvernementales de protection et de promotion du français partout au Canada, en particulier au Québec, et j’ajouterais également en Acadie des provinces atlantiques.

L’ensemble de la francophonie canadienne se réjouit qu’à l’heure actuelle le gouvernement fédéral démontre une véritable ambition de s’attaquer à la pérennité de la langue française au pays. Nous sommes en droit d’espérer que cette vision de la ministre Mélanie Joly trace enfin une voie vers l’égalité réelle.

À la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, nous croyons que la protection et la promotion du français à travers le pays ne pourront pas réussir sans s’attaquer à une réelle mise en œuvre de la Partie VII de la Loi.

En me préparant pour cette comparution, je me suis ressourcé en lisant un mémoire du regretté sénateur acadien Jean-Maurice Simard, De la coupe aux lèvres : un coup de cœur se fait attendre, publié en 1999. Comme le remarquait le sénateur Simard et je cite : « Dans son Rapport annuel de 1998, le Commissaire aux langues officielles fait la démonstration […] que le régime d'application de la Partie VII de la Loi, plus de 10 ans après son entrée en vigueur, est inadéquat, y compris à l'échelle de l'ensemble du gouvernement. » Mesdames et Messieurs, 22 ans après ce constat, force est d’admettre que le régime d’application de la Partie VII de la Loi est toujours inadéquat.

« L'article 16 et l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982 et la Loi sur les langues officielles, plus particulièrement la Partie VII de celle-ci, ont une portée et un objet qui sont d'envergure nationale. […] La réalisation de leur objet a une incidence déterminante sur l'identité canadienne, l'unité nationale et l'avenir de tous les Canadiens. Pris ensemble, ces dispositions créent pour l'État canadien une obligation positive d'agir avec célérité de manière à en réaliser l'objet. » 
 
- J.-M. Simard, De la coupe aux lèvres…
 

Dans le cadre de la modernisation actuelle de la Loi, il est essentiel que nous visions des solutions novatrices et structurantes, en donnant davantage la parole aux communautés elles-mêmes en ce qui concerne leur propre avenir. En 2021, plus de 50 ans après l’adoption de la LLO, les communautés francophones en situation minoritaire devraient pouvoir voler de leurs propres ailes. Or, pour plusieurs raisons, ce n’est actuellement pas le cas.

Mis à part certaines exceptions, aucune évolution n’a eu lieu depuis de nombreuses années en ce qui concerne le modèle de financement des programmes conçus par, pour, et avec les communautés francophones et acadiennes du pays. Pour la SANB, considérant tous les millions de dollars de deniers publics investis lors des dernières décennies, nous affirmons que le contribuable canadien mérite mieux.

Le sénateur Simard, dans sa grande clairvoyance, avait bien compris que, ET l’application des mesures positives de la Partie VII, ET le régime de financement des organismes porte-parole, posaient des problèmes. Il suggérait que ce soit le Bureau du Conseil privé qui soit le maître d’œuvre de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles, car son pouvoir est transversal aux différents ministères et agences. Cependant, nous croyons que c’est le Conseil du Trésor qui devrait jouer ce rôle, puisque son pouvoir d’action transcende les limitations de chaque ministère et agence.

D’ailleurs, la SANB en avait fait recommandation dans son mémoire au comité permanent des langues officielles sénatorial en 2018.

Plusieurs dossiers pourraient bénéficier d’une réappropriation de l’esprit de la Partie VII par le gouvernement fédéral. Ce dernier peut et doit renégocier, avec les gouvernements provinciaux ET avec les communautés elles-mêmes, des ententes trilatérales qui encadreraient durablement l’épanouissement de la langue française partout au pays. Qu’on pense au développement économique rural, à l’immigration, aux études postsecondaires, aux nouvelles technologies et au numérique, etc. Cette redéfinition de nos relations permettrait de sortir d’une logique stérile de consolidation des acquis par des luttes sans fin devant les tribunaux.


 « À l'heure actuelle, les chefs de file des communautés consacrent une part beaucoup trop importante de leurs précieuses énergies à faire respecter la loi, une responsabilité qui pourtant incombe normalement aux gouvernements, à la police et aux tribunaux. Les dirigeants du réseau associatif des communautés passent aussi plus de la moitié de leur temps à justifier leur existence et la valeur de leur action et de leurs projets aux yeux du ministère du Patrimoine canadien. Sans le vouloir peut-être, ou même avec les meilleures intentions du monde, on siphonne ainsi une bonne part des forces vives et de l'énergie collective des communautés. Il y a sûrement une manière plus efficace d'assurer le développement des communautés. » (Ibid.)


Avant de terminer avec quelques recommandations concrètes, j’aimerais souligner l’importance cruciale de parler toujours davantage des langues officielles afin de lutter contre la désinformation et pour raffermir l’unité nationale, en particulier dans le contexte de crise sanitaire où nous devons tous et toutes nous serrer les coudes partout au pays.  

Comme le disait le sénateur Jean-Maurice Simard : « Le Gouvernement du Canada a spécifiquement le devoir non seulement de remédier à l'érosion multidimensionnelle des minorités, mais également de favoriser leur plein épanouissement et d'appuyer activement leur développement de manière à renforcer une partie importante (et la plus fragile) des assises de la dualité linguistique canadienne. Ce faisant, il renforcerait aussi l'identité nationale et les perspectives d'unité canadienne. » 

Donc, en 2021, comment faire pour arriver à une réelle mise en œuvre de la Partie VII de la Loi? Pour répondre à cette question, la SANB recommande humblement : 

La conception d’un nouveau modèle de financement pour nos institutions en situation linguistique minoritaire, soit un modèle qui viserait à maximiser l’autonomie et la liberté des institutions communautaires. 

 – Alexandre Cédric Doucet, président de la SANB


  •  La création d’un Comité mixte Sénat et Chambre des communes sur les langues officielles, pour encadrer le processus de modernisation et de mise en œuvre de la LLO fédérale ;
  • La révision des ententes provinciales-fédérales pour assurer que les fonds destinés à la promotion des communautés de langues officielles en situation minoritaire ne se retrouvent pas dans les fonds généraux des provinces ;
  • La signature d’ententes directes entre le gouvernement fédéral et des institutions communautaires, par exemple les conseils scolaires par l’entremise de la PLOÉ, sans passer par l’entremise des provinces ;
  • La mise en œuvre d’un régime de financement asymétrique, qui donnerait aux plus petites communautés francophones du pays l’occasion de s’épanouir de manière équitable, tout en reconnaissant que certaines juridictions, notamment le Nouveau-Brunswick et l’Ontario, ont des besoins spécifiques en raison de leur masse critique francophone ;
  • D’ailleurs, la SANB réitère sa recommandation quant à la reconnaissance de la spécificité du N.-B. dans le préambule d’une LLO modernisée. Rappelons que le Nouveau-Brunswick et le Québec sont les seules provinces à s’être dotées d’un régime linguistique particulier ;
  • La pérennisation de nos institutions postsecondaires en milieux minoritaires francophones. Sur ce point, j’ajouterais que ce n’est pas parce qu’on n’entend pas publiquement parler de l’Université de Moncton et du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick que leur financement, leurs admissions et leur pérennité ne sont pas un enjeu d’actualité.

C’est donc avec tout cela en tête que la SANB affirme qu’il faut concevoir la mise en œuvre de la Partie VII de la LLO comme le véritable moteur du rôle du gouvernement canadien afin de donner aux communautés les outils, l’autonomie et la liberté institutionnelles nécessaires pour assurer l’épanouissement pérenne du français au Canada.  

Merci. 

Alexandre Cédric Doucet

Président, SANB

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