Langues officielles vs Langues nationales : La confrontation de deux visions du Canada

Ce texte est une version abrégée d’un document de réflexion plus approfondi sur la question de l’évolution terminologique du PCC en matière de langues officielles. Pour lire le document dans sa version longue, rendez-vous au https://www.sanb.ca/uploads/document/66/file/translations/124/VF_-_Langues_officielles_vs_Langues_nationales.pdf


Le 28 octobre 2020, après une rencontre avec le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge, l’honorable Erin O’Toole a tweeté : « La vitalité de nos deux langues nationales est primordiale. [...] » Le 25 novembre 2020, il a prononcé un discours en français à la Chambre des communes sur l’importance de moderniser la Loi sur les langues officielles (LLO) et il a encore une fois mentionné les « langues nationales ». Rappelons que l’expression consacrée depuis soixante ans est « langues officielles » pour parler de l’anglais et du français, qui sont en principe égaux. Pour la SANB, ce changement terminologique soulève de nombreuses questions. Tout d’abord, est-ce que l’usage de l’adjectif « nationales » représente :

  • Un simple choix de mots différents, pour se distancier du discours du premier ministre Justin Trudeau ?
  • Un changement de cap idéologique par rapport au statut juridique du français et de l’anglais ?
  • L’indication d’une vision binationale du Canada en rupture avec le multiculturalisme, voire avec la reconnaissance des peuples autochtones du Canada ?
  • Une simple extension de la reconnaissance de la nation québécoise au sein du Canada, au détriment des autres communautés francophones en situation minoritaire ?

Lorsque l’on parle de « langues officielles », le français et l’anglais ne sont pas sur le même pied d’égalité et le français exige des efforts de promotion et des mesures de protection particulières. De la même manière, quand il est question de « nations canadiennes » d’expression française noyées dans le multiculturalisme, l’Acadie se tient debout pour faire valoir ses titres et ne renonce à rien.

La SANB se demande : en quoi le PCC propose-t-il un nouveau « contrat linguistique » aux Canadiennes et aux Canadiens ? Ce dernier inclura-t-il les langues des peuples autochtones ? Et quelle reconnaissance pour l’Acadie comme nation francophone au Canada ? Certes, le Québec possède un statut particulier, et la langue française y est aussi en recul, malheureusement... Mais le Nouveau-Brunswick, où se trouve la plus grande part des Acadiennes et des Acadiens, possède-lui aussi un statut particulier dans la Charte canadienne des droits et libertés en tant que seule province officiellement bilingue. La modernisation de la Loi sur les langues officielles ne peut se faire sans la reconnaissance de la spécificité acadienne, notamment au Nouveau-Brunswick.

La ministre responsable du dossier des langues officielles, l’honorable Mélanie Joly, a effectué une tournée pancanadienne de consultation sur cette modernisation en 2019, après un travail de fond effectué par le Comité sénatorial des langues officielles présidé par le sénateur acadien indépendant René Cormier et le dépôt de plusieurs mémoires dont celui, très étoffé, de la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada (FCFA). Dans son plus récent Discours du trône, le premier ministre a d’ailleurs parlé de « renforcement » au lieu de modernisation. De plus, la ministre Joly parle désormais de préparer un livre blanc. Cette valse-hésitation, ces faux-fuyants aux relents électoralistes nous inquiètent vivement. Nous sommes donc très ouverts, à la SANB, au changement de ton de la part du PCC, que ce soit dans les discours de M. O’Toole ou de son lieutenant Alain Rayes. La lutte contre la pandémie, outre qu’elle a mis en lumière les dangers que courent les francophones au pays en période de crise (ce qu’a dénoncé le Commissaire aux langues officielles, M. Raymond Théberge), ne peut justifier le report de la modernisation de la LLO encore et encore.

Les termes employés pour parler des enjeux linguistiques du Canada au 21e siècle, que ce soit « langues officielles » ou « langues nationales », ne doivent pas prêter à confusion ni n’être que des paroles en l’air. Si l’on veut se distancier du multiculturalisme libéral du dernier demi-siècle, en offrant un nouveau cadre conceptuel dans lequel affirmer la valeur culturelle et historique des langues officielles, la SANB aimerait y voir autre chose que la résurrection du biculturalisme de l’antique Commission Laurendeau- Dunton.

Le Canada ne peut plus se permettre de traiter les peuples autochtones (Premières Nations, Inuit et Métis) comme si leurs langues n’étaient pas « nationales », voire avec condescendance et ambiguïté, sans action concrète. Le Canada ne peut plus se permettre non plus d’opposer le Québec au reste du pays, comme si cette province était une anomalie dérangeante pour son rêve « postnational », bilingue sur papier et multiculturel d’un océan à l’autre. L’Acadie est une nation qui s’identifie ainsi depuis la première Convention nationale de 1881, et qui est reconnue comme telle sur la scène internationale depuis au moins les ententes signées avec le Général de Gaulle en 1968, voire avec l’entrée du Nouveau-Brunswick dans les États membres de l’OIF aux côtés du Québec.

Depuis l’élection du nouveau chef du Parti conservateur du Canada (PCC), l’honorable Erin O’Toole, celui-ci parle de « langues nationales » en référence à l’anglais et au français, plutôt que de « langues officielles », ce qui est un changement majeur. Mais de quelle nature ? La SANB désire des éclaircissements. Elle désire aussi rappeler que le terme de « nation » ne peut s’appliquer qu’au seul Canada en tant que pays bilingue ni à la seule nation québécoise. L’Acadie représente une des nations d’expression française qui sont nées sur le continent américain. Elle est riche de son histoire, de sa culture, de ses institutions, de ses symboles et de sa réalité propre au sein du Canada. Sa forte présence au Nouveau-Brunswick a permis à cette province d’obtenir un statut particulier dans la Charte canadienne des droits et libertés et sur la scène internationale. En outre, il nous apparait essentiel de rompre avec le passé colonial en reconnaissant les droits linguistiques des peuples autochtones au Canada (qui peuvent être déduits de l’Article 35 de la Constitution, selon certains chercheurs) et de traiter avec ceux-ci « nation à nation ».

M. O’Toole : nous sommes prêts à entendre ce que vous avez à dire sur le sujet. Que voulez-vous dire par « langues nationales » ? Que proposez-vous ?


Alexandre Cédric Doucet, président


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